Méthodologie | Niveau compositionel
Notre modèle analyse, en troisième lieu, le niveau compositionnel. Employons encore la métaphore du langage. Il est question maintenant d’examiner comment les éléments précédents sont liés du point de vue syntaxique, tout en formant une structure interne dans l’image.
Cette structure a pour nous une valeur purement opérationnelle (et non pas ontologique) car il ne s’agit pas de quelque chose qui soit caché derrière la surface du texte. Pour des raisons d’économie dans l’analyse, nous avons décidé d’inclure à l’intérieur de ce niveau les éléments dits Scalaires (perspective, profondeur, proportion) et les éléments dynamiques (tension, rythme) qui, même en possédant une nature quantitative (les premiers) et temporelle (les seconds), tel que l’a signalé à bon escient Justo Villafañe (1988), ont des effets considérables sur ce que l’on connaît sous le nom de composition plastique de l’image.
Par ailleurs, nous analysons ici, de manière monographique, comment l’espace et le temps de la représentation s’articulent. Il s’agit de deux variables ontologiquement indissolubles qui, pour des raisons opérationnelles, sont examinées de forme indépendante. La réflexion sur ces aspects spatiaux et temporels du texte photographique se fonde sur l’examen de questions très précises : depuis les variables physiques de l’espace et du temps photographiques jusqu’à d’autres plus abstraites telles « l’habitabilité » de l’espace ou la temporalité subjective qui construit l’image.
3.1 Systéme syntaxique ou compositionnel
Tel que nous le rappelle Villafañe, il faut faire une série de précisions à l’égard de la nature de la composition (Villafañe, 1987, p.177 et ss.):
- «Les objectifs de la composition plastique et les facteurs qui la déterminent sont indépendants du degré d’iconicité de l’image» (p. 178). En d’autres termes, l’on ne peut pas parler de l’existence d’une série de normes ou principes compositionnels déterminant la simplicité compositionnelle, indépendamment du degré de figuration ou abstraction de cette composition.
- Tel que nous l’a montré la Gestalt et la physiologie de la perception, le système perceptif humain détermine certains aspects de la perception de l’ordre visuel dans une image. C’est ce qu’il arrive avec la vision de la profondeur dans une photographie.
- La simplicité n’empêche pas qu’une image soit complexe. C’est le cas de nombreuses compositions symétriques et régulières. La complexité dépend de la «diversité de relations plastiques que les éléments de l’image peuvent créer» (p. 179).
- Les éléments iconiques d’une composition ne peuvent pas être ordonnés en suivant une échelle de valeurs, car la distribution de poids visuels n’est pas plus importante que l’ordre iconique ou les directions de lecture de l’image. Il n’est pas possible non plus que ces éléments iconiques possèdent des valeurs stables de signification, parce qu’ils dépendront toujours de leurs interrelations plastiques et de nombreux facteurs contextuels (pp. 180-181).
- Tous les éléments iconiques ont la même influence plastique (p.180), même si cela ne signifie pas que nous puissions reconnaître dans chaque image une importance plus grande ou plus petite de chacun de ces facteurs compositionnels. Force est de constater que, dans chaque composition, le fait de supprimer des éléments, même s’ils sembleraient peu importants, peut entraîner la modification de la signification ultime de l’image. C’est pourquoi il est fort important d’adopter une vision holistique, totalisante, dans l’étude des éléments compositionnels.
Perspective
Dans la création de la perspective, l’interaction des lignes de composition et l’absence d’une «constance» perceptive des formes joue un rôle fondamental (Arnheim, 1979, p. 86). Les formes rectangulaires, par exemple, sont perçues en tant qu’obliques. Tout en suivant les gradients de taille, elles se situent dans les lignes de fuite de la perspective représentée.
En fait, ces objets qui apparaissent en perspective sont déformés, par exemple lorsque l’on emploie un grand-angle, dont l’effet est de déformer les objets visuels, lesquels tendent vers l’obliquité et présentent une volumétrie modifiée. Les gradients perceptuels sont sans doute responsables de la construction de l’espace tridimensionnel. Ces gradients pourraient être définis comme «la croissance ou décroissance graduelle de certaines qualités perceptuelles dans l’espace et dans le temps» (Arnheim, 1979, p. 204).
L’obtention de la profondeur de champ, dans le domaine de la photographie et de la cinématographie, est possible grâce à l’utilisation de grands-angles et de diaphragmes très fermés. L’emploi de cette dernière technique par le groupe du f:64, représenté par Ansel Adams et Edward Weston entre autres, est paradigmatique. L’emploi du téléobjectif produit souvent l’effet contraire: l’absence totale de profondeur de champ.
Nous devons enfin faire référence très brièvement à l’importance de la perspectiva artificialis en tant que système de représentation né durant la Renaissance. Ce système comporte l’émancipation du regard de l’être humain du système de représentation religieux. La construction de la perspectiva artificialis, analysée en profondeur par Erwin Panofsky, constitue avant tout une forme de représentation dans laquelle le sujet humain devient le centre. Pour la première fois, l’intérieur et l’extérieur de la représentation picturale, où l’observateur habite, sont définis. Cette référence, même en étant schématique du fait de sa brièveté extrême, est pertinente dans la mesure où la photographie et le cinéma sont des héritiers de ce système de représentation.
Finalement, nous tenons à insister sur la nature structurale de l’espace dans lequel le reste d’éléments morphologiques et la structure compositionnelle de l’image habitent. C’est pour cela que nous avons trouvé pertinent de créer une section que nous avons dénommée «l’espace de la représentation» et que nous avons située au niveau compositionnel de notre modèle d’analyse, justement de par sa nature structurale, d’autant plus qu’il s’agit du système compositionnel ou syntaxique (interrelationnel) de la construction de l’image.
Rhythme
Le professeur Villafañe affirme que le rythme est un élément dynamique dont la nature doit être mise en relation avec l’expérience de temporalité dans la perception d’une image. C’est justement cette valeur relationnelle entre les éléments ce qui nous mène à inclure ce concept au niveau compositionnel, étant donné que le rythme est un paramètre structural.
Villafañe soutient qu’il convient de distinguer entre cadence et rythme. La cadence fait référence à la répétition d’éléments tels que les points, lignes, formes et couleurs, ce qui fournirait à l’image de la régularité et de la symétrie. Cela dit, aussi bien la régularité que la symétrie sont des options compositionnelles qui font diminuer l’activité et le dynamisme de l’image. Le rythme d’une composition, au contraire, est une notion d’une plus grande portée : il fait allusion à la conceptualisation structurale de l’image dans laquelle l’idée de répétition est essentielle.
D’après Villafañe (1987, p. 154), le rythme présente deux composantes : d’un côté la périodicité, ce qui entraîne la répétition d’éléments ou groupes d’éléments et, d’un autre côté, la structuration qui pourrait être définie comme le mode d’organisation de ces structures répétées dans la composition.
Dans ce cas-ci, quand il y a une répétition d’unités liées entre elles par leur forme ou signification, nous parlons de la présence d’isotropies.
Il s’agit sans doute d’un concept très difficile à définir et très souvent utilisé dans le domaine musical. Si dans une composition musicale, les silences sont des éléments décisifs pour définir le rythme d’une mélodie, il en va de même dans la composition visuelle où les espaces vides ou interstitiels sont fondamentaux pour que l’existence d’une structure rythmique soit possible.
Tension
La tension est encore une autre variable dynamique de l’image photographique. Cette tension peut apparaître dans des compositions qui présentent un équilibre clair qui, dans ce cas-ci, aura une nature dynamique. C’est ce qu’on appelle l’équilibre dynamique. Parmi les agents plastiques qui peuvent contribuer à la création d’une tension visuelle nous retrouvons ceux-ci:
- Les lignes peuvent dans certains cas être décisives pour accorder de la tension à la composition lorsque celles-ci expriment l’idée de mouvement. Dans le domaine de la photographie, le balayage photographique ou la captation de sujets en mouvement grâce à une basse vitesse d’obturation sont des techniques qui servent à utiliser la ligne en tant qu’élément dynamique imprimant de la tension à l’image. Dans les bandes dessinées, l’on parle de la présence de lignes cinétiques.
- Les formes géométriques régulières (le triangle, le cercle ou le carré, par exemple) sont moins dynamiques que les formes irrégulières. Plus elles différeront des formes simples et plus de tension elles introduiront dans la composition. Cela dit, il faut rappeler que le triangle est une forme ayant plus de tension et de dynamisme que le cercle ou le carré, étant donné les angles qui le définissent.
- La représentation des éléments en perspective ou la présence d’orientations obliques dans l’organisation des éléments à l’intérieur du cadrage aide à transmettre de la tension à l’observateur.
- Le contraste de lumières ou le contraste chromatique est de même responsable de la création de la tension compositionnelle.
- La présence de textures différentes, de différences importantes dans la netteté entre les différents termes ou plans de l’image, etc. contribuent à la création d’une composition ayant de la tension.
- Tel que nous le verrons ci-dessous, la rupture des proportions du sujet ou de l’objet photographique est également un facteur qui introduit une forte tension dans la composition.
Proportion
Le professeur Villafañe assure que la proportion «est la relation quantitative entre un objet et ses parties constituantes et les parties de cet objet entre elles même» (1987, p.160). Même si sa nature est quantitative (et de ce fait elle possède une dimension scalaire), la proportion est un paramètre qui doit être abordé dans les concepts compositionnels étant donné sa grande importance. L’on parle généralement de proportion lorsque l’on fait référence aux manières de représenter la figure humaine dans l’espace de la composition. Depuis la Renaissance, où l’on reprend la pensée pythagorique, l’on parle des mesures du corps humain par rapport à ses parties constituantes. La «section dorée», la «divine proportion» ou le « nombre d’or » permet d’établir une mesure numérique (la lettre phi) qui est conforme à un type de proportion observée dans la nature. En tout état de cause, il convient de souligner que les formes de représentation du corps dans le domaine pictural et, par extension, dans le domaine photographique (qui se fonde sur la tradition représentationnelle de la peinture) ont suivi ce modèle, qui est fortement enraciné dans l’imaginaire collectif et dans la configuration du goût esthétique conventionnel.
L’emploi du grand-angle dans la photographie a pour effet secondaire, outre le fait d’accentuer la perspective, de déformer les proportions du sujet photographié (c’est le cas de certaines photographies de Bill Brandt ou de Jean Loup Sieff). La rupture des proportions du sujet photographié est quelquefois un élément sur lequel repose une esthétique de la laideur, très habituelle chez certains photographes, dont Witkin.
Il faut finalement dire que la proportion est un concept compositionnel qui fait aussi allusion au rapport du sujet/objet représenté et l’espace même de la représentation. Les dimensions quantitatives du motif photographique gardent de même une proportionnalité avec les dimensions du cadre de l’image. Il convient aussi de prendre en considération la proportion qui s’établit entre les côtés d’une photographie, la «ratio» de l’image, très souvent déterminée par le format photographique employé. C’est le cas du format rectangulaire du petit format ou le format carré, très utilisé par Robert Mapplethorpe. La représentation verticale ou horizontale du motif photographique se base fréquemment sur la proportionnalité qui se produit entre les dimensions et la forme du motif et le cadre photographique, tel qu’il arrive dans les formats rectangulaires (35 mm -24×36 mm, ratio 1 :1.5-, grands formats photographiques -9×12 cm, ratio 1 :1,33-). Les formats de copies positives photographiques tels 13×18 cm, 18×24 cm, 24×30 cm ou 30×40 cm, expriment les ratios 1 :1.33, 1 :1.33 ; 1 :1.25 et 1 :1.33, respectivement.
Lorsqu’un trompe-l’œil se produit, un changement dans les proportions peut arriver. Ce changement peut être découvert avec une grande subtilité lors de l’observation.
Distribution de poids
Les différents éléments visuels contenus dans une image ont un poids variable dans l’espace de la composition, au point de présenter une distribution de poids visuels concrète. Ces poids agissent sur l’activité et le dynamisme des différents éléments (Villafañe, 1987, p. 188). Or, nous considérons, tout comme Arnheim, qu’il est fort difficile, voire impossible, de dissocier les significations plastiques du niveau de significations sémantiques ou interprétations qui jaillissent de l’analyse de toute image. Cette analyse ne peut pas être étrangère à l’univers d’expériences préalables de l’observateur et à son degré de compétence de lecture, selon la terminologie sémiotique. Tout en suivant la judicieuse présentation de Villafañe (pp. 188 et ss.), les facteurs dont la distribution dépendrait seraient entre autres:
- La position à l’intérieur du cadrage est une circonstance qui peut faire augmenter ou diminuer le poids d’un élément dans une composition. Une position centrée aide à ce que la composition soit plus symétrique. Il est généralement accepté que plus un élément est situé au niveau de la partie supérieure droite du cadrage et plus il a de poids. Ce fait dépend de la tradition iconique occidentale et il a une nature profondément culturelle.
- Le fait qu’un élément visuel soit plus grand est décisif pour gagner du poids dans le cadrage. Un élément visuel à une grande taille peut être compensé dans la composition par la présence d’une série d’éléments visuels plus petits.
- Les éléments visuels situés en perspective, même s’ils sont plus petits, peuvent faire augmenter leur poids visuel en fonction de la netteté.
- La clarté visuelle dans l’isolement d’un élément a des conséquences sur son plus grand poids visuel (ce qui dépend de la netteté des lignes de contour de l’objet, le contraste, la forme, la couleur, etc.). Cela dépend aussi de sa position à l’intérieur du cadrage tel que nous l’avons commenté ci-dessous.
- Le traitement de la surface des objets visuels, leur apparence texturée face à un aspect poli, est aussi décisif pour accorder un poids plus grand à l’élément visuel du cadrage.
Règle des tiers
L’importance plus grande ou plus petite du centre d’intérêt d’un objet visuel à l’intérieur du cadrage est étroitement liée au poids qu’il ait dans la composition à l’égard des autres éléments visuels. Si ce centre d’intérêt coïncide avec le centre géométrique de l’image, son poids sera plus petit que s’il est situé dans des zones plus éloignées.
Tel que le disent Villafañe et Arnheim, le centre géométrique ou points d’intérêt est une zone faible en ce qui concerne l’attirance visuelle. D’ailleurs, le fait que cet élément visuel se trouve trop près des limites du cadrage peut provoquer des déséquilibres très importants dans l’image. La force visuelle d’un élément plastique sera d’autant plus intense qu’elle se trouvera dans les points d’intersection des lignes de tiers. Ce principe est exprimé dans la règle des tiers. En fait, la formulation de cette règle est directement liée à la théorie de la section dorée ou nombre d’or qui est difficile à calculer d’une manière exacte. De manière générale, certes moins précisément, nous dirons que l’obtention de ces lignes de tiers se fait en divisant l’image horizontalement et verticalement en trois parties égales, tout en prenant comme point de référence les limites horizontaux et verticaux du cadre de la photographie.
Les points d’intersection de ces lignes horizontales et verticales sont au nombre de quatre: lorsque les éléments visuels coïncident avec ces quatre points, l’objet acquiert une force et poids visuel. Lorsque l’on situe la ligne de l’horizon dans le cadrage, dans une photographie de paysage par exemple, elle coïncide d’habitude avec l’une des deux lignes de tiers de la composition. Ceci peut être vérifié dans un grand nombre de photographies. La plupart des photographes ignorent l’existence de ce principe compositionnel, dont l’application dépend sans doute de l’influence de la tradition représentationnelle occidentale.
Ordre iconique
Les concepts d’équilibre et d’ordre iconique dépendent également du poids du modèle de représentation occidental qui commence pendant la Renaissance avec la parution de la perspectiva artificialis. L’équilibre et l’ordre sont deux concepts qui vont ensemble, tel que nous le rappelle Gombrich. Il s’agit de deux concepts ayant une longue tradition dans l’histoire de la culture occidentale et qui influencent grandement le regard du spectateur.
Le concept d’ordre iconique est un paramètre étroitement lié aux éléments morphologiques et compositionnels. Villafañe affirme que l’ordre visuel «se manifeste à travers les structures iconiques et leur articulation». Il s’agit en effet d’un concept nucléaire «sur lequel se fonde la composition de l’image» (Villafañe, 1987, pp. 165-166).
Le professeur Villafañe distingue, très judicieusement, l’existence de deux genres d’équilibre compositionnel de base (Villafañe, pp. 165-166).
- D’une part, l’équilibre statique, caractérisé par l’utilisation de 3 techniques: la symétrie, la répétition d’éléments ou séries d’éléments visuels et la modulation de l’espace à partir d’unités régulières. Ces deux dernières techniques seraient étroitement liées au rythme compositionnel en tant que concept structural.
- D’une autre part, l’équilibre dynamique (selon Arnheim), dont le résultat est la permanence et l’invariabilité de la composition qui se fonde sur la manière dans laquelle l’espace plastique est hiérarchisé , sur la diversité d’éléments et de relations plastiques et sur le contraste de lumière et de couleurs.
Dondis (1976, pp. 130-147) énumère toute une série de situations compositionnelles qui oscillent entre des applications extrêmes dans le domaine du design et qui pourraient sans peine être extensibles au domaine de la photographie:
- Equilibre-Instabilité. La rupture de l’équilibre peut comporter la parution de compositions provocatrices et inquiétantes pour le spectateur.
- Symétrie–Asymétrie. La symétrie est définie en tant qu’équilibre axial. La rupture de la symétrie offre un large éventail de possibilités.
- Régularité–Irrégularité. Une composition qui se fonde sur la régularité se sert de l’utilisation d’une uniformité d’éléments.
- Simplicité-Complexité. L’ordre iconique se fonde sur la simplicité compositionnelle avec une utilisation d’éléments simples.
- Unité–Fragmentation. Une composition fondée sur l’unité propose la perception des éléments employés en tant que totalité.
- Économie–Profusion. L’économie compositionnelle se sert d’un nombre limité d’éléments.
- Réticence–Exagération. La réticence se fonde sur une proposition compositionnelle dans laquelle il est possible d’obtenir une réponse maximale de la part du spectateur en utilisant une quantité minimale de matériel visuel.
- Prédictibilité–Spontanéité. La prédictibilité compositionnelle fait allusion à l’aisance du récepteur pour prévoir, presque instantanément, les caractéristiques du message visuel.
- Activité-Passivité. L’activité se base sur la représentation de mouvement et de dynamisme.
- Subtilité-Audace. Une composition basée sur la subtilité évite l’évidence et cherche la délicatesse et le raffinement des matériels plastiques utilisés.
- Neutralité-Accent. Une composition neutre cherche à vaincre la résistance de l’observateur à partir de l’utilisation d’éléments plastiques très simples.
- Transparence-Opacité. Il s’agit de compositions où l’observateur peut percevoir sans peine des éléments visuels qui demeurent cachés dans le fond perceptif ; ils sont mi-cachés par d’autres éléments situés au premier plan de l’image.
- Cohérence-Variation. La cohérence compositionnelle se fonde sur la comptabilité formelle des éléments plastiques employés dans la composition.
- Réalisme-Distorsion. Ces deux concepts définissent le degré de déformation du motif photographique.
- Planéité-Profondeur. Il s’agit de l’absence ou utilisation de la composition en perspective.
- Singularité-Juxtaposition. Lorsque la composition utilise un thème isolé.
- Caractère séquentiel-caractère aléatoire. Une composition séquentielle s’appuie sur l’utilisation d’une série d’éléments visuels placés conformément à un schéma rythmique.
- Acuité-Diffusivité. L’acuité fait allusion à la clarté de l’expression visuelle, ce qui rend plus facile l’interprétation du message visuel.
L’ensemble de concepts que nous venons d’énumérer a pour but d’offrir une large liste de situations compositionnelles que nous pouvons retrouver dans une composition photographique, même s’il est possible d’en retrouver d’autres qui n’ont pas été mentionnées ci-dessous. Dans l’analyse d’une photographie, nous utiliserons seulement certains concepts.
Les situations examinées correspondent à des manifestations visuelles dont la valeur est donc structurale. À nos yeux, l’ordre visuel et l’identification de structures compositionnelles sont des concepts qui se rapportent dialectiquement. C’est pourquoi nous pensons qu’il n’est pas possible d’établir une relation hiérarchique entre eux. En outre, l’identification de l’ordre visuel et de structures est chargée d’une signification qui ne peut pas être détachée de l’analyse de la composition.
Il convient de souligner qu’un bon nombre de ces situations compositionnelles possèdent une charge énonciative qui pourrait être qualifiée en tant que «modélisante » ou « fournisseuse d’aspect ». Autrement dit, elles représentent des marques textuelles et des qualificateurs qui devront être étudiés de manière monographique dans le dernier niveau de l’analyse : le niveau interprétatif. À l’intérieur de ce niveau, nous nous pencherons sur l’articulation du point de vue, vrai «moteur» -à notre avis- de la construction représentationnelle.
Parcours visuel
À travers le parcours visuel, nous établissons une série de liens entre les éléments plastiques de la composition. L’ordre dans la lecture des éléments visuels dépend de l’organisation interne de la composition, qui définit tout un ensemble de directions visuelles. Le professeur Villafañe (pp. 187-190) établit un classement des types de directions visuelles:
- D’une part, les directions de scène, internes à la composition, seraient créées par l’organisation des éléments plastiques présents à l’intérieur du cadrage. Elles peuvent, à leur tour, être représentées graphiquement (au moyen des éléments graphiques tels que la représentation du mouvement, la présence de bras ou doigts qui signalent des directions précises ou la présence de formes et d’objets à une morphologie pointue) ou induites par les regards des personnages qui figurent dans le cadrage.
- D’une autre part, les directions de lecture dépendent parfois de l’existence des vecteurs directionnels qui se trouvent dans la composition. Dans ce cas-ci, nous pouvons également remarquer le poids de la tradition culturelle d’Occident où la lecture se fait de gauche à droite et d’en haut en bas.
Le parcours visuel peut être mené à bien de plusieurs façons lorsqu’il s’agit d’une photographie, lorsqu’il est question d’images de complexe facture ou délibérément ouvertes, tel qu’il arrive avec les pratiques artistiques.
Statisme / dynamisme
L’inclusion d’une section consacrée à l’examen du statisme/dynamisme de la composition constitue à ce stade de l’analyse une redondance car il s’agit de deux concepts qui ont dû être abordés lorsque nous avons parlé du rythme, de la tension, de la distribution de poids ou de l’ordre iconique.
Nous considérons toutefois qu’il convient d’effectuer une remarque générale qui nous permette d’établir si nous analysons une composition statique ou si par contre il s’agit plutôt d’une composition dynamique. Il s’agit donc de deux concepts fondamentaux lors de l’analyse du temps de la représentation que nous étudions dans ce stade de l’analyse.
Tout en mettant en relation plusieurs aspects déjà abordés, cette section nous permettra de réaliser, somme toute, une évaluation globale du statisme / dynamisme de la composition. Si cet aspect a été traité largement dans d’autres sections, il ne faudra pas répéter ce qui aura été déjà exposé.
Pose
Dans certains genres photographiques tels que le portrait, la pose du modèle ou sujet photographié est un élément extrêmement important. Il s’agit ici de décrire comment le sujet pose, s’il est question d’une photographie qui vise à attraper la spontanéité d’un geste ou d’un regard bien précis, ou si le modèle pose consciemment. L’évaluation de son attitude et l’examen des qualificateurs seront abordés au niveau interprétatif de l’analyse.
Le sujet est de temps à autre montré dans une position forcée que l’on appelle aussi le raccourci. Pour certains auteurs, dont Arnheim (1979), cette position peut être interprétée en tant qu’élément dynamique, comme l’expression du pouvoir implacable de la mort, la résistance face à la destruction ou le processus évolutif de la vie.
L’emploi d’un raccourci entraîne la rupture de la constance perceptive, ce qui introduit une ambiguïté structurale sémantique dans la composition. Cela provoque une multiplicité de lectures.
Autres
Cet espace est réservé à l’inclusion d’autres concepts qui pourraient éventuellement avoir un rapport avec le niveau compositionnel de l’analyse de la photographie. Il demeure ouvert ad libitum de l’analyste ou spécialiste de l’image.
Remarques
À la fin de l’analyse des différents concepts qui intègrent l’étude du niveau syntaxique ou compositionnel de l’image, il convient de faire une synthèse des aspects les plus importants.
3.2 Espace de la représentation
La représentation de l’espace est une modélisation du réel. Dans le cas de la photographie, nous devons être conscients que l’image obtenue est toujours le résultat d’une opération à partir de laquelle le continuum spatial est coupé. Une sélection qui, consciemment ou inconsciemment, répond toujours aux intérêts du photographe. C’est dans l’espace de la représentation, en tant que dimension adjuvante et structurale, que le déploiement des éléments plastiques et les techniques compositionnelles dont nous avons précédemment parlé a lieu.
L’inclusion d’une sous-section consacrée à l’examen de l’espace de la représentation doit nous aider à définir l’espace qui construit la photographie que nous analysons, depuis ses variables les plus matérielles jusqu’à ses implications les plus philosophiques.
Dans le domaine de la photographie, le contrôle du paramètre technique de l’ouverture du diaphragme et l’optique choisie par le photographe contribuent à la construction de la dimension spatiale de l’image.
Champ / Hors-champ
Tel que le dit Philippe Dubois, tout acte photographique suppose “une prise de vue ou de regard dans l’image”, c’est-à-dire, un geste de coupure: «Temporellement (…), l’image-acte photographique interrompt, arrête, fixe, immobilise, sépare, décolle la durée tout en captant seulement un instant. Spatialement, elle fractionne, choisit, extrait, isole, capte, coupe une portion d’extension. Ainsi, la photo semble en quelque sorte une « tranche » unique et singulière de l’espace-temps, littéralement coupée à vif » (p. 141). À la différence de l’espace pictural, l’espace photographique n’est pas donné d’avance et on ne le construit pas. L’espace photographique est un espace à prendre, une sélection et soustraction agissant comme un tout. « Autrement dit, au-delà de toute intention ou de tout effet de composition, le photographe coupe d’emblée, tranche, blesse ce qui est visible. Chaque vue, chaque prise est inéluctablement un coup de hache qui garde un morceau réel et exclut, rejette, dépouille l’entourage (le hors-cadre, le hors-champ, …). Toute la violence (et la prédation) de l’acte photographique procède pour l’essentiel de ce geste de cut » (p. 158).
Le champ photographique, on le sait, est défini comme l’espace représenté dans la matérialité de l’image et constitue l’expression pleine de l’espace de la représentation photographique. Or, la compréhension et interprétation du champ visuel présupposent toujours l’existence d’un hors-champ, qui serait contigu et qui le soutiendrait.
Les formes de représentation du hors-champ dans le domaine de la photographie et leurs significations peuvent être fort variées. La représentation photographique dominante, que nous pourrions mettre en relation avec le paradigme de représentation classique, offre un champ visuel fragmentaire, mais qui cache, en même temps, sa nature discontinue au moyen d’un effacement des traces énonciatives. Ceci se fait pour que le spectateur ne perçoive pas la nature artificielle de la construction visuelle. Le paradigme classique se fonde sur la construction d’une impression de réalité, plus accentuée que dans d’autres moyens audiovisuels tels le cinéma ou la vidéo.
Dans une interprétation ou lecture de la représentation photographique, le hors-champ et l’absence sont des éléments structuraux. C’est ce qui se passe également dans le domaine de la représentation filmique.
Indépendamment d’autres réflexions, il est évident que les objets ou les personnages peuvent «pencher» vers le hors-champ, ce qui entraîne une implication mutuelle par contiguïté. Par ailleurs, les miroirs, les ombres, etc. sont des éléments qui se situent directement au niveau du hors-champ.
Ouvert / Fermé
Cette paire de concepts ne fait pas seulement allusion à la dimension physique ou matérielle de la représentation. La représentation d’un espace ouvert présente toute une série d’implications pour ce qui est des déterminations que cet espace a vis-à-vis du sujet ou objet photographié et du genre de relation de jouissance que l’image provoque chez le spectateur. Il en va de même pour les espaces fermés. Nous parlons également des effets métaphoriques que la représentation d’un espace ou de l’autre contient. Rappelons que nous faisons toujours allusion à l’étude et à l’analyse de photographies complexes.
Intériour / Extérieur
Ces deux concepts ne font pas seulement allusion à la dimension physique ou matérielle de la représentation. La représentation d’un espace intérieur présente toute une série d’implications pour ce qui est des déterminations que cet espace a vis-à-vis du sujet ou objet photographié et du genre de relation de jouissance que l’image provoque sur le spectateur. Il en va de même pour les espaces extérieurs. Nous parlons également des effets métaphoriques que la représentation d’un espace ou de l’autre contient.
Concret / Abstrait
Cette paire de concepts ne fait pas seulement allusion à la dimension physique ou matérielle de la représentation. La représentation d’un espace concret présente toute une série d’implications pour ce qui est des déterminations que cet espace a vis-à-vis du sujet ou objet photographié et du genre de relation de jouissance que l’image provoque sur le spectateur. Il en va de même pour les espaces abstraits. Nous parlons également des effets métaphoriques que la représentation d’un espace ou de l’autre contient.
Profond / Plan
Dans l’étude du système compositionnel, nous avons mentionné l’importance de la perspective et de la profondeur de champ lors de la construction de l’espace de la représentation. À ce stade de l’analyse, il est question d’évaluer dans quelle mesure la représentation plane de l’espace coïncide avec un regard plus standard ou normalisé (celui du classicisme) face à la représentation en profondeur, plus proche de la configuration plastique baroque, selon la distinction établie par Wölfflin et que nous analyserons plus profondément au niveau interprétatif de l’analyse.
Habitabilité
En fonction du degré d’abstraction de l’image, il sera plus o moins plausible que l’espace puisse être habitable par le spectateur. L’habitabilité fait allusion au type d’implication que la représentation provoque lors de la lecture de l’image. Nous parlerons d’une plus grande ou plus petite habitabilité en fonction de l’identification ou l’éloignement, en tant que forces centripète et centrifuge, que l’espace suggère au spectateur. Nous étudierons en détail ces concepts dans la section ci-dessous, plus précisément dans l’épigraphe consacrée à l’étude de l’énonciation.
La caractérisation d’un espace en tant qu’espace symbolique se produit lorsque la représentation photographique s’éloigne du but indiciaire de la photographie, en tant que trace du réel, comme le dirait Dubois.
Santos Zunzunegui commente, à l’égard de la photographie de paysage, qu’un paysage sera indiciaire « lorsque la dimension constative y sera prédominante », alors qu’un paysage photographique sera considéré en tant que « symboliste ou symbolique » « pour autant que ce qu’il y a de plus fondamental dans sa stratégie significative mette le visible au service de l’invisible » (p. 145).
S’il est vrai que chez certains photographes comme David Kinsey ou Timothy O’Sullivan la photographie de paysage a une valeur testimoniale, chez Ansel Adams tout le travail semble se diriger « vers la construction d’une vision substantiellement esthétique du monde et des choses ». Chez Adams, la poétique indiciaire est remplacée « par un jeu de lumières qui vise à jeter des ponts entre la cascade, la rivière et l’arc en ciel, tout en construisant une dramatique sensibilité émotive face à la lumière » (p. 152).
En effet, l’espace symbolique dont nous parlons pourrait être considéré en tant qu’espace subjectif en termes strictement sémantiques. La reconnaissance d’une poétique symbolique dépendra du sujet qui réalisera l’analyse, d’autant plus que dans l’opération de lecture ce qui interrompt aussi est l’expérience subjective de l’interprète.
Mise en scéne
Le dispositif photographique ne peut pas être vu comme un simple agent reproducteur, mais comme un moyen conçu pour produire certains effets, c’est-à-dire, l’impression de réalité entre autres. De ce point de vue, l’image photographique n’est pas étrangère à une action délibérée d’énonciation textuelle, à une mise en scène qui suinte une idéologie bien précise et qu’il faut absolument prendre en considération lors de l’analyse.
Cet aspect est étroitement lié à celui de l’articulation du point de vue que nous étudierons en détail dans la section ci-dessous.
Autres
Cet espace est réservé à l’inclusion d’autres concepts qui pourraient éventuellement avoir un rapport avec le niveau compositionnel de l’analyse de la photographie. Il demeure ouvert ad libitum de l’analyste ou spécialiste de l’image.
Remarques
À la fin de l’analyse des différents concepts qui intègrent l’étude du niveau syntaxique ou compositionnel de l’image, il convient de faire une synthèse des aspects les plus importants.
3.3 Temps de la représentation
De même que l’espace, le temps d’une image est toujours une modélisation du réel. Dans le cas de la photographie, nous devons rappeler que, d’une façon plus ou moins explicite, la temporalité est étroitement liée à la nature du moyen photographique. Toute photographie constitue une «coupure» du continuum temporel, une sélection intéressée d’un moment essentiel qui, selon les cas, peut exprimer la singularité d’un instant ou nous raconter un récit complexe avec la temporalité plus ou moins prolongée.
En tant qu’élément structural de l’image, la temporalité se construit à travers l’articulation d’une série d’éléments, tel que nous le rappelle Villafañe. Nous pouvons en mentionner, entre autres, le format et l’échelle de l’image, le rythme, les directions de lecture de la photographie ou le type de représentation choisie, comme la composition en perspective.
Dans le domaine de la photographie, le contrôle du paramètre technique de la vitesse d’obturation permet la construction de la dimension temporelle de l’image
Instantanéité
L’instantanéité met en évidence le fait que la photographie est toujours la représentation et captation d’une petite fraction de temps du continuum temporel. Cartier-Bresson parlait de «l’instant décisif» pour faire allusion à l’importance du moment de la capture photographique, où un instant à une valeur capitale est gelé. L’élection et obtention de cet instant n’est pas le fruit du hasard. En fait, l’attitude, la prédisposition et la préparation spéciales du photographe y sont requises.
Lorsqu’il est question du genre paysage, certains auteurs -dont Santos Zunzunegui (1994)- font aussi allusion à la ponctualité en tant que catégorie aspectuelle de la temporalité. La ponctualité est définie en tant qu’absence de durée, même si c’est dans un sens différent à celui proposé par Cartier-Bresson. Les photographies de Timothy O’Sullivan et Robert Adams montrent la même catégorie aspectuelle : la ponctualité en tant qu’absence de durée. Les photographies de O’Sullivan en présentent deux variantes : la terminativité (« l’on est arrivé jusqu’ici dans l’exploration ») et l’inchoativité (« la prise en possession du territoire commence »). Dans certaines photographies paysage comme celles de Robert Adams, la ponctualité se traduirait « en termes exclusifs de terminativité », tout en montrant comment dans ses photos « quelque chose est arrivé » (p. 169). La travail du photographe n’y est plus la captation de l’instant décisif [Cartier-Bresson], mais « le témoignage de la fin de toute utopie à propos de la nature » (p. 169). Dans les cas étudiés par Zunzunegui, les paysages photographiques basés sur l’idée de ponctualité (discontinuité) renverraient au système de représentation classique.
Dans d’autres cas, le gel du temps constitue tout simplement une stratégie pour provoquer un fort effet d’étonnement chez le spectateur. Philippe Halsman en est un exemple avec son célèbre portrait de Dalí. En général, cette catégorie s’opposerait à l’idée de temps en tant que durée.
Durée
La représentation d’une durée du temps est, paradoxalement, une autre option discursive du texte photographique. Les photographies réalisées à basse vitesse nous offrent des vues très particulières du monde qui nous entoure, notamment lorsqu l’on emploie de longs temps d’exposition. Le balayage est encore une technique qui permet de transmettre cette idée de durée, outre l’idée de mouvement, car elle consiste à prendre une photographie à une vitesse moyenne ou basse tout en suivant le mouvement d’un sujet ou objet. Ce genre de vues produit chez le spectateur une sensation d’étonnement et, de temps à autre, une représentation spectaculaire du monde. Parfois, la présence d’horloges, calendriers ou tout autre objet, la lecture séquentielle de la photographie ou la perspective d’une image faisant partie d’une série de photographies (Duane Michals) sont des éléments qui renvoient à l’idée de temps en tant que durée. Dans ces images, l’on constate la présence de maques temporelles.
Aux yeux de Santos Zunzunegui, «les poétiques photographiées de l’œuvre d’Ansel Adams et Edward Weston appartiennent au domaine de la durativité, au sein de laquelle la production d’un effet tensif d’expansion de la durée a lieu». Il s’agit d’un temps indéterminé, indéfini qui « produit une sorte d’état stationnaire qui se traduit en une durativité continue, où la nature semble s’autofonder » (c’est le cas d’Ansel Adams). Dans le cas de Weston, « le micropaysage s’installe au-delà du temps ». La durativité semblerait être le résultat « d’une longue durée géologique, responsable d’un travail patient, fini bien auparavant » (p. 169).
Dans les cas étudiés par Zunzunegui, les paysages photographiques basés sur l’idée de durativité (continuité) renverraient au système de représentation baroque.
Atemporalité
Ce terme est employé fréquemment en tant que synonyme de durativité, c’est-à-dire, de la conception et représentation du temps en tant que durée. Nous avons tenu à distinguer ce paramètre pour essayer de rendre compte des cas où la photographie ne présente aucune sorte de marques temporelles. En réalité, il faudrait dire qu’il n’est pas possible le fait qu’un texte photographique manque de marques temporelles, car, en tant que vue, toute photographie doit s’inscrire dans le continuum temporel, ne serait-ce qu’en en prenant un petite portion.
Cela dit, nous pensons qu’il existe un grand nombre de photographies, dans les genres de la photographie publicitaire ou de la photographie industrielle, dans les quelles une occultation délibérée des marques temporelles se produit. Cet effet discursif est parfois motivé par le poids du système représentationnel classique, où l’effacement des traces énonciatives est un principe suivi fidèlement afin de favoriser l’illusion de réalité.
Temps symbolique
La reconnaissance de l’existence d’un temps symbolique dans l’image se produit lorsque la représentation photographique s’éloigne du but indiciaire de la photographie, en tant que trace du réel, tel que le dirait Dubois.
Dans son analyse de la photographie de paysage, Zunzunegui affirme que « ce qui définit primordialement cette poétique symboliste d’Ansel Adams réside dans le fait que ses images visent dans la direction de quelque chose différent de ce que l’on va voir finalement ; elles renvoient à une réalité qui existe au-delà de ce qui est proprement représenté » (1994, p.160). Zunzunegui nous rappelle les propos d’Argan lorsqu’il parle de la «poétique de l’absolu»: ce que nous voyons est seulement un fragment de la réalité ; nous pensons qu’avant et après ce fragment, l’extension de l’espace et du temps est infinie (…), nous allons au-delà du vu et du visible (…). Ce que nous voyons perd tout intérêt (…) ; ce que nous ne voyons pas, son infinitude éveille l’angoisse de notre propre finitude » [G. C. Argan: El arte moderno 1770-1970. Valencia: Fernando Torres Editor, 1975, p. 11]. Ceci l’induit à affirmer que nous nous retrouvons devant le sublime kantien, où « le sublime serait la relation dans laquelle le sensible, dans la représentation de la nature, est jugé en tant que propre pour en faire un usage suprasensible » [Immanuel Kant: Crítica del juicio. Madrid: Espasa-Calpe, 1979, p. 170] (p. 161). La nature qu’Ansel Adams montre est originelle, primitive. Il faut la mettre en relation avec le mythe américain du voyage vers l’ouest.
Dans le cas des compositions photographiques abstraites, où il n’est pas possible d’identifier des motifs figuratifs (c’est le cas des photographies d’Alfred Stieglitz dans sa série Equivalences), des images de cieux à des nuages quasiment inidentifiables. L’on peut parler également de la manifestation d’un temps symbolique, dont la poétique repose sur l’onirisme de la représentation. Il s’agit d’un type de temporalité seulement déchiffrable à partir du travail de l’interprète.
Temps subjective
Le temps symbolique dont nous parlons pourrait être considéré en tant que temps subjectif en termes strictement sémantiques. La reconnaissance d’une poétique symbolique dépendra du sujet qui réalisera l’analyse. Cela dit, l’on peut considérer parfois que le temps représenté dans une photographie acquiert une dimension particulièrement subjective pour l’analyste, difficilement déchiffrable pour d’autres interprètes.
Le concept de punctum barthésien pourrait être mis en relation avec la présence d’un temps subjectif dans l’image. Le punctum se définit par opposition au studium : « Dans cet espace très habituellement unaire, parfois (mais, hélas, rarement) un “ détail ” m’attire. Je sens que sa seule présence change ma lecture que c’est une nouvelle photo que je regarde, marquée à mes yeux d’une valeur supérieure. Ce “détail” est le punctum (ce qui me point). Il n’est pas possible de poser une règle de liaison entre le studium et le punctum (quand il se trouve là). Il s’agit d’une co-présence, c’est tout ce qu’on peut dire … » (p. 87).
Le studium est une façon de “fatalement rencontrer les intentions du photographe, entrer en harmonie avec elles, les approuver, les désapprouver, mais toujours les comprendre, les discuter en moi-même, car la culture (dont relève le studium) est un contrat passé entre le créateur et les consommateurs » (p.67). Ainsi l’analyse de l’image photographique peut être amenée dans le domaine d’une subjectivité radicale, où les sentiments et le plaisir visuel apparaissent liés.
Le studium et le punctum ne sont pas bien entendu de traits qui se bornent simplement au domaine de l’atemporel. Cet élément, geste, regard, tension, etc. qui nous émeut comporte une interruption de la lecture de l’image, de la directionalité qu’elle puisse renfermer. Le temps subjectif est un temps catalytique qui comporte une suspension de l’écoulement temporel, de même et surtout, dans l’opération de lecture, car c’est l’expérience subjective de l’interprète qui fait irruption dans l’image. En fait, les réflexions de Barthes à propos du sujet étudié relèvent de la révision d’un album de photographies de famille, des photographies qui ne communiquent rien à un étranger. La projection des fantômes de l’interprète aide à ce que la contemplation d’une photographie devienne, dans certains cas, une activité refermant une intense émotivité et intimité.
Le séquentiel / Le narratif
L’ordre visuel et les directions de lecture sont des facteurs clés pour reconnaître la présence du séquentiel temporel ou narratif dans la photographie. De nombreuses photographies de Duane Michals se fondent sur ce principe. Tel que nous le rappelle Zunzunegui, « une image est, avec la plasticité, un ensemble de déterminations narratives et figuratives qui, au moyen de complexes opérations syntaxiques et sémantiques, construisent l’effet du sens temporel» (p. 172). Le temps de lecture d’une image a déjà une nature temporelle. Il est évident que toute image raconte une histoire, plus ou moins petite, à l’aide de notre participation active lors de sa lecture.
Autres
Cet espace est réservé à l’inclusion d’autres concepts qui pourraient éventuellement avoir un rapport avec le niveau compositionnel de l’analyse de la photographie. Il demeure ouvert ad libitum de l’analyste ou spécialiste de l’image.
Remarques
À la fin de l’analyse des différents concepts qui intègrent l’étude du niveau syntaxique ou compositionnel de l’image, il convient de faire une synthèse des aspects les plus importants.
3.4 Réflexion générale
À la fin de l’analyse des différents concepts qui intègrent l’étude du niveau morphologique de l’image, il convient de faire une synthèse des aspects les plus importants.
Malgré le fait d’avoir examiné le niveau compositionnel de l’image dans lequel beaucoup de concepts possèdent une dimension plus ou moins objectivable, nous constatons que les réflexions menées ne peuvent pas échapper à une certaine charge subjective projetée par l’analyste, et sa compétence de lecture, ce qui dépend des connaissances préalables (le bagage culturel) du chercheur.
L’étude réalisée à ce niveau nous a permis d’établir les caractéristiques de la structure compositionnelle de la photographie, une structure qui ne possède pas une valeur ontologique, c’est-à-dire, qu’elle ne se cache pas derrière la surface du texte photographique que nous avons analysé. Une même analyse réalisée par plusieurs chercheurs différents nous fournirait des résultats assez différents. Ce fait ne doit pas trop nous inquiéter: ce qui est vraiment important, c’est le fait que les réflexions menées à bien soient dûment argumentées.