Méthodologie | Niveau morphologique

Le deuxième niveau dans l’analyse que nous proposons prend en considération le niveau morphologique de l’image. Pour ce faire, nous suivons les propositions énoncées par différents auteurs assez hétérogènes, car nous parlons de concepts un peu complexes, même si apparemment ils ne le sembleraient pas.

Tel que nous le verrons, quelques notions comme celles du point, de la ligne, du plan, de l’espace, de l’échelle, de la couleur, etc. ne sont pas de notions purement «matérielles» et, très souvent, elles participent à la fois d’une condition morphologique, dynamique, compositionnelle et scalaire.

Ce niveau de l’analyse met en exergue la nature subjective du travail analytique au sein duquel, même si l’on adopte une perspective descriptive, commencent à apparaître des jugements de valeur. Nous nous devons donc d’assumer que toute analyse comporte une opération projective, notamment dans le cas de l’analyse de l’image fixe isolée, et qu’il est fort difficile d’envisager une recherche des mécanismes de production du sens des éléments simples ou singuliers qui composent l’image, sans avoir une idée générale, en guise d’hypothèse, à propos de l’interprétation globale du texte photographique.

Tout en considérant les théories gestaltistes de l’image, il faut rappeler que dans tout acte perceptif entre en jeu une série de lois perceptives, à caractère inné, comme la «loi de la figure – fond», la « loi de la forme complète» ou la « loi de la bonne forme », qui vont dans cette même direction. Somme toute, la compréhension d’un texte iconique a une nature holiste en ce sens que les parties de l’image ou ses éléments simples sont déterminés par une certaine idée de totalité. Il convient également de souligner que, dans le domaine de l’image, les éléments simples auxquels nous faisons allusion ne constituent pas des unités simples sans signification.

Il ne faut donc pas oublier que l’un des principaux problèmes que pose l’analyse de l’image découle de l’absence d’une double articulation de niveaux, contrairement à ce qui se passe avec les langages naturels tel que l’ont expliqué Benveniste et Martinet. En effet, les langages naturels comptent sur un ensemble fini d’unités minimales sans signification –les phonèmes- permettant d’articuler un deuxième niveau du langage composé par des unités minimales ayant une signification –les morphèmes-, dont la combinaison est très élevée. Dans le cas des langages iconiques, il est impossible d’établir l’existence de niveaux équivalents, ce qui nous permettrait de parler de manière rigoureuse d’un niveau morphologique, d’un « alphabet visuel » stricto sensu, sur lequel l’on construirait un niveau syntaxique et un autre sémantique et pragmatique. Dans le cas des textes audiovisuels, le besoin de reconnaître l’absence d’une limite qui séparerait la forme du contenu est plus évident que dans d’autres langages. En réalité, forme et contenu fonctionnent en tant que continuum et de ce fait il est impossible de préciser où l’une se termine et où l’autre commence.


2.1 Description du motif photographique

L’analyse à proprement parler de la photographie doit commencer avec une description minutieuse du motif photographique, autrement dit, de ce que la photographie représente lors d’une première lecture de l’image. Cette première approche nous renseigne du degré de figuration ou abstraction de la photographie et de la clé ou clés génériques dans lesquelles il faudrait circonscrire le texte photographique que nous étudions.


2.2 Éléments morphologiques

Point

Tel que l’on signalé certains spécialistes comme Dondis, Kandinsky ou Villafañe, le point est l’élément visuel le plus simple. Du point de vue de la construction de l’image, une photographie est composée de grains photographiques, plus ou moins visibles, dans le cas de la photographie photochimique ou de « pixels » (picture elements) dans la photographie numérique. Il conviendrait de préciser que tandis que le grain photochimique possède du volume, se distribue irrégulièrement sur la surface de la pellicule et a une forme irrégulière, le pixel est orthogonal ou carré (selon les types), il n’a pas de volume et se distribue de manière géométrique sur la surface du CCD ou de l’écran de l’ordinateur.

Les systèmes de reproduction photomécanique, de nos jours numériques, se fondent sur l’utilisation du point en tant que matériel graphique primaire. La visibilité du grain photographique compromet très souvent le degré de figuration ou d’une plus grande abstraction de la photographie en question, au point que cela peut avoir des conséquences au moment de juger une image comme étant plus « centripète » ou « centrifuge » par rapport à l’observateur. Une plus grande présence de grain photographique peut être un élément entraînant un certain éloignement de la part du spectateur, un élément permettant de souligner le degré de construction artificielle de la représentation photographique. Dans certains cas, la visibilité du grain fournit une texture picturaleà la photographie. Dans d’autres cas, la non- manifestation du grain de l’image peut offrir une plus grande vraisemblance de la représentation photographique, lorsque l’on cherche un effet de réalité dans la construction de l’image.

Cela dit, au-delà de sa nature plastique, le point en tant que concept morphologique peut aussi avoir un lien avec la construction compositionnelle de l’image, tel que le dit le professeur Justo Villafañe (1988, 1995). On parle donc de l’existence de centres d’intérêt dans une photographie ou points d’attraction qui peuvent coïncider ou ne pas coïncider avec les points de fuitelorsqu’il s’agit d’une composition en perspective, ou de l’existence d’un centre géométrique de l’image. Dans ce dernier cas, la composition peut avoir un dynamisme plus grand ou plus petit en fonction de la position du point dans l’espace de la représentation.

Il est généralement accepté que lorsque le point coïncide avec le centre géométrique de l’image, la composition a un caractère statique.

Si le point coïncide avec les axes diagonaux de l’image(généralement carrée ou rectangulaire), il s’agit d’une composition où le point contribue à faire augmenter la force tensionnelle de la composition.

Dans d’autres cas, le point ne coïncide ni avec le centre géométrique de l’image ni avec les axes diagonaux. Dans ce cas-ci, sa présence peut être perturbatrice et il sert simplement à dynamiser l’image.

L’existence de deux ou plus de deux points enfin peut aider à la création de vecteurs de direction de lecture dans l’image, ce qui multiplie la force tensionnelle et le dynamisme de la composition.

Comme nous pouvons le constater, même si le point est un élément morphologique, il s’agit d’un concept plastique fort important dans la composition de l’image.

Ligne

La ligne est morphologiquement définie comme une succession de points qui, de par leur nature, transmet de l’énergie, elle génère du mouvement. Parmi les fonctions plastiques que la ligne peut avoir, nous retenons quelques unes ci-dessous, à partir de la présentation du professeur Justo Villafañe (1987, 1995):

  • La ligne est un élément formel qui permet de séparerles différents plans, formes et objets apparaissant dans une composition (nous ne devons pas oublier que la ligne de contour est l’élément qui permet de distinguer une figure par rapport à un fond perceptif –loi de la figure – fond-, tel que le dit la théorie de la Gestalt).
  • La ligne est un élément clé pour donner du volume aux sujets ou objets disposés dans l’espace bidimensionnel de la représentation visuelle.
  • Lorsque la ligne coïncide avec les axes diagonaux, sa capacité de dynamisation est encore plus évidente.

D’ailleurs, les lignes horizontales, verticales ou obliques peuvent donner des significations particulières à l’image, tout en connotant du matérialisme, de la spiritualité et du dynamisme respectivement.

Les lignes courbes apparaissant dans une composition transmettent d’habitude le mouvement et le dynamisme face à la ligne droite.

Il faut souligner enfin, tel que l’affirme Villafañe, que «la ligne est un élément plastique ayant la force nécessaire pour transmettre les caractéristiques structurales (forme, proportion, etc.) de n’importe quel objet» (Villafañe, 1987, p.106).

Plan(s)-Espace

Du point de vue morphologique, et tel qu’il est indiqué par Justo Villafañe, le «plan» peut être compris comme un élément «bidimensionnel limité par des lignes ou d’autres plans», et il s’agit d’un recours idéal pour « compartimenter et fragmenter l’espace plastique de l’image » (Villafañe, 1987, p.108). Lorsque nous parlons de l’existence de plans dans une photographie, nous faisons allusion à la présence de plusieurs plans, dimensions ou termes dans une image, de telle sorte que ceux-ci déterminent l’existence d’une profondeur spatiale de l’image. Voilà pourquoi la nature du plan est profondément spatiale.

Rudolf Arnheim affirme que les éléments qui sont regroupés à partir de leur similarité dans une composition sont d’habitude reconnus en tant que similaires, d’autant qu’ils se trouvent souvent sur le même plan (Arnheim, 1979, p.56). Grâce à l’interaction entre le plan et la profondeur, il est possible de construire la troisième dimension (la profondeur) dans une composition visuelle qui, par définition, est toujours plane.

La perception de plans dans une image dépend de deux éléments: la superpositiondes figures du cadrage, ce qui permet de distinguer entre les objets et les sujets situés plus près ou plus loin du point d’observation ; et l’aspect projectif, c’est-à-dire, leur disposition depuis un angle déterminé, ce qui est défini en termes de perspective. Nous ne devons pas oublier que toute composition définit l’endroit depuis lequel la représentation est montrée (qu’il s’agisse d’une représentation picturale, architectonique ou photographique).

La construction de la spatialité (en tant que tridimensionnalité) est directement liée au phénomène gestaltiste de la figure/fond.

Dans l’espace de la représentation et parmi les différents plans pouvant apparaître dans une image, nous pouvons parfois observer la présence de «cadres» et «fenêtres», des éléments étroitement liés au phénomène de figure- fond, et dont la parution a eu lieu pendant la Renaissance dans le domaine de la peinture. Le cadre a joué un rôle fondamental pour rendre possible une émancipation du tableau pictural par rapport à l’environnement architectonique qui l’entourait (considérons par exemple les retables et les peintures des églises) : le cadre établissait les limites de la représentation, de même qu’aujourd’hui les cadres établissent les limites des photographies dans les expositions photographies dans des galeries et des musées.

Nous avons abordé le(s) plan(s) en tant que fragmentation de l’espace. C’est dans ces plans que le reste d’éléments morphologiques, auxquels l’espace est lié, se montre, à tel point qu’il est fort difficile de le dissocier des autres éléments (point, ligne, texture, etc.) avec lesquels il constitue un continuum (Arnheim, 1979). La nature structurale de l’espace nous mène à l’étudier dans le prochain niveau d’analyse, le niveau compositionnel, où il y a lieu de développer les significations associées à son traitement représentationnel.

Le rapport figure-fond (qui par l’effet de la perspective est capable de créer de la profondeur) avec le caractère bidimensionnel de l’image peut de temps en temps produire des effets de trompe-l’œil. C’est le cas des photographies de Duane Michals, par exemple.

Échelle

Dans l’analyse du niveau morphologique, nous avons trouvé pertinent d’inclure la scalarité en tant que paramètre, puisqu’il s’agit d’un élément ayant une nature quantitative qui peut être observé empiriquement (objectivement). N’oublions pas que le niveau morphologique de cette proposition d’analyse étudie ces éléments qui pourraient être inclus dans la catégorie de ce que traditionnellement l’on a dénommé «le dénotatif». Certains auteurs, dont Villafañe (1987, 1985), affirment que l’échelle, la dimension, le format et la proportion constituent le niveau scalaire de l’image. Loin de prétendre sous-estimer cette considération, nous croyons que pour des raisons opérationnelles d’analyse, il est plus approprié de le situer dans cette section, étant donné sa nature objectivable et la facilité à préciser la technique employée dans la construction de l’image. Il s’agit par ailleurs d’un élément structural assez simple sur lequel le travail sur la forme, l’éclairage, le contraste et la couleur de l’image, entre autres, est développé. Voilà encore une fois un concept ayant une nature morphologique et compositionnelle, outre scalaire.

L’échelle fait allusion à la taille de la figure dans l’image, la taille du corps humain dans le cadrage étant le principe organisateur des différentes options que nous pouvons trouver. Nous pouvons ainsi parler de:

  • Gros plan
  • Plan moyen
  • Plan américain
  • Plan entier
  • Plan général
  • Plan de détail
  • Plan d’ensemble
  • etc.

Il s’agit de termes généralement employés dans le domaine de l’analyse et de la production cinématographique et télévisuelle, même si leur utilisation dans le contexte de l’analyse photographique est tout à fait applicable. L’emploi de chacune de ces tailles du sujet photographique a une signification spécifique en fonction du contexte visuel. En général, plus la vue de l’objet ou du sujet photographié est rapproché et plus le degré du lien émotif ou intellectuel du spectateur envers le motif de l’image est profond, de sorte qu’une échelle petite (un très gros plan ou un gros plan) aide d’habitude à l’identification du lecteur; cependant, plus l’échelle du motif photographique est générale et plus son éloignement est fréquent. Encore une fois, nous pouvons affirmer que même si nous étudions un soi-disant plan objectif (car il relève d’une quantité) du niveau morphologique de l’analyse, ce n’est pas possible de le dissocier de l’univers des significations, dont la nature est en grande partie projective et donc assez subjective.

Forme

Arnheim affirme que le processus perceptif commence avec « l’appréhension des traits structuraux saillants» (1979, p. 60). La forme constitue justement l’aspect visuel et sensible d’un objet ou sa représentation. Le professeur Villafañe assure que la «forme» fait allusion « à l’ensemble de traits qui se modifient lorsque l’objet visuel change de position, orientation ou, tout simplement, de contexte ». Ce chercheur distingue entre « forme » et « structure » ou « forme structurale », celle-ci définie comme « les caractéristiques immutables et permanentes des objets, sur lesquelles se fonde leur identité visuelle » (Villafañe, 1987, p. 126). C’est cette dernière définition ce qui nous intéresse tout particulièrement : elle proclame la valeur structurale de la forme en tant que facteur responsable de l’identité visuelle des objets que nous pouvons trouver ou reconnaître dans l’espace de la représentation.

Il faut souligner que, tel que la psychologie gestaltiste l ’a montré, le mécanisme de la vision ne part absolument pas du particulier pour arriver au général. C’est plutôt le contraire: celui qui perçoit projette la reconnaissance des formes les plus remarquables sur la représentation. La loi de l’expérience ou la loi de la forme complète, formulées par la Gestalt (qui signifie justement «forme» ou «structure» avec cette double et ambivalente valeur sémantique), mettent en évidence l’existence de ce phénomène. Ainsi nous reconnaissons d’habitude plus aisément (ce qui constitue un acte de projection, actif, de l’observateur) les formes géométriques simples : le cercle, le carré ou le triangle pourraient être considérées les formes les plus élémentaires. Le récepteur organiserait structuralement donc la composition interne du cadrage en reconnaissant ces formes simples. De temps à autre, un motif ou objet photographique peut renvoyer à une forme de point étant donné son caractère circulaire ou rond.

Lors de la détermination des formes présentes dans une composition, le contraste tonal (moyennant le jeu de différences de gammes des gris), la couleuret la ligne (notamment la ligne du contour qui permet la distinction des figures sur le fond perceptif) jouent un rôle décisif. La projection (la perspective) et la superposition, deux modalités de raccourci (selon Arnheim), seraient d’autres recours employés pour la distinction de formes dans l’image.

Lorsque le cadrage présente une grande complexité de formes, éloignées des géométries élémentaires, fréquemment l’on perçoit l’image comme si elle n’avait pas d’organisation interne, au point de pouvoir interpréter cette image en termes de « bruit informatif » ou d’entropie, sans aucun ordre. Dans certains cas, l’utilisation de formes complexes, voire aberrantes, peut avoir des effets discursifs intéressants dans leur signification.

Bref, tel que le dit Gombrich : «plus d’importance biologique l’objet aura pour nous, plus nous serons portés à le reconnaître et plus tolérants nos critères de correspondance formelle seront», une manière de mettre en relief l’importance du spectateur dans la reconnaissance de formes et structures, au-delà de leur soi-disant existence objective dans l’espace représenté.

Texture

La texture est un élément visuel qui possède en même temps des qualités optiques et tactiles. Ce dernier aspect est le plus saillant, puisque la texture est un élément visuel qui sensibilise et caractérise matériellement les surfaces des objets ou sujets photographiés.

Le grain d’une image photographique peut parfois être simultanément forme, texture et couleur. C’est ce qui arrive avec le type de coup de pinceau employé dans le domaine de la peinture. Avec les techniques de traitement numérique, il est possible d’imiter les textures de l’image picturale, à partir de l’utilisation des nombreux filtres que contient le logiciel Photoshop (Adobe), l’un des plus répandus du marché. Fréquemment, l’emploi de filtres numériques est un recours qui permet de cacher la basse qualité de la photographie ou simplement de créer des images singulières qui peuvent être touchantes ou épatantes vis-à-vis du spectateur (techniques qui, avec les procédures photochimiques du laboratoire, seraient quasiment impossibles, étant donné leur difficulté extrême).

Dans la photographie photochimique, la texture dépend notamment du type d’émulsion photographique utilisée. Moins sensible (lente) la pellicule employée sera et moins visible le grain photographique. La résolution de l’image sera beaucoup plus grande. Par contre, plus l’émulsion photographique sera sensible (rapide), la résolution de l’image sera inférieure, et plus visible le grain photographique. La visibilité du grain peut dépendre soit du type de révélateur employé dans le processus de l’obtention de l’image, soit de l’utilisation de techniques numériques de développement, tirage ou traitement numérique. Une plus grande visibilité du grain peut être un facteur mettant en danger la netteté de l’image, à tel point que celle-ci peut manquer de profondeur spatiale et peut donc sembler absolument plane.

Il faut dire enfin que la texture est un élément clé pour la construction de surfaces et plans (Villafañe, 1987, p.110). Arnheim affirme qu’il s’agit d’un élément servant à la création de profondeur dans l’image, dont dépend sa tridimensionnalité, où l’éclairage joue un rôle fondamental, tel que nous le verrons.

Netteté de l’image

Même si ce paramètre ne peut pas être considéré en tant qu’élément morphologique de l’image, nous pensons qu’il est nécessaire de l’aborder en rapport avec les concepts faisant partie de ce niveau-là. La netteté ou l’effet de flou d’une image est un recours expressif ayant une dimension objective qui, de temps à autre, peut entraîner un éventail remarquable de significations, notamment lorsque ce recours est combiné avec d’autres. Il faudrait peut être le mettre en relation avec l’aspectualisation ou articulation du point de vue avec lequel il est étroitement lié. Or, dans la mesure où il s’agit d’un élément quantifiable en termes objectifs, nous considérons qu’il doit être traité de façon particulière dans cette phase de l’analyse photographique.

Nous avons pu constater que la netteté de l’imageest étroitement liée au travail sur le grain (ou le pixel) photographique, c’est-à-dire, le concept de texture. Le contrôle du cadrage est une technique qui aide à ce qu’une figure se détache du fond de l’image. Par ailleurs, le manque de netteté de l’image peut avoir des conséquences importantes pour transmettre une certaine idée de dynamisme ou de temporalité de la photographie. L’absence de netteté d’une image peut être due à l’emploi de filtres. Ces filtres lui accordent un effet de flou, qui met en question la vraisemblance de la représentation, en lui fournissant même un certain onirisme . Dans d’autres cas, le manque de netteté peut donner à la photographie un aspect pictorialiste , très fréquent chez les photographes des premiers temps de l’histoire de la photographie (Julia Margaret Cameron, Oscar Gustav Rejlander, Henry Peach Robinson, Gustave Le Gray, etc.), qui cherchaient ainsi à accorder à la photographie un statut artistique.

La netteté de l’image peut donc être un aspect à aborder à ce stade de l’analyse photographique, même si on ne lui consacrera pas de commentaires profus.

Éclairage

La lumière est peut-être l’élément morphologique le plus important qu’il faut mettre en exergue dans l’analyse de l’image. Il s’agit de la matière primaire avec laquelle elle est construite. En fait, la photographie est, tel que nous l’indique l’étymologie du terme, une «écriture de lumière». Rudolf Arnheim considère cet élément en tant que condition de possibilité de l’image, puisqu’elle génère de l’espace et du temps aussi, ajouterions-nous, car autrement comment pourrions-nous interpréter la temporalité latente d’une photographie? (Arnheim, 1979, p. 335). La perception des formes, textures ou couleurs peut seulement se faire grâce à l’existence de la lumière. En outre, la lumière peut avoir un large éventail d’usages et significations fort importants et une valeur expressive, symbolique, métaphorique, etc. Dans le domaine de la photographie, nous allons employer le terme «éclairage» pour faire allusion à l’utilisation de la lumière dans la construction de l’image photographique.

Si nous considérons la qualité de la lumière, nous pouvons distinguer entre:

  • Éclairage naturel et éclairage artificiel (moyennant l’emploi de flashs ou l’éclairage continu).
  • Éclairage dur (contraste fort de lumières, avec la présence de tons noirs et blancs intenses) ou éclairage doux (éclairage diffus, avec une gradation tonale pauvre).
  • Haut éclairage (prédominance de hautes lumières), bas éclairage (prédominance d’ombres) ou ce qui pourrait être dénommé «éclairage classique ou normatif».

Dans le domaine de la photographie, l’éclairage naturel est souvent accompagné de réflecteurs et d’autres éléments qui permettent d’améliorer la visibilité de l’objet ou sujet photographique. En fonction de la nature de la photographie à prendre, selon le contexte et le genre photographique, l’emploi de l’éclairage artificiel est moins fréquent. C’est le cas, par exemple, de la photographie de reportage social (voir les photographies de la Farm Security Administration ou la série Americans de Robert Frank) ou du photojournalisme, où l’usage du flash peut rompre la spontanéité ou l’instantanéité que l’on cherche à obtenir (même s’il y a de nombreuses exceptions. Weegee en est un exemple).

En dépendant de la direction de la lumière, nous pouvons parler:

  • D’éclairage zénithal
  • Éclairage du haut
  • Éclairage latéral
  • Éclairage du ba
  • Éclairage nadir (opposé à l’éclairage zénithal)
  • Contre-jour
  • Éclairage équilibré ou classique
  • etc.

L’éclairage est aussi un élément fondamental pour définir les styles photographiques, tels l’expressionnisme, le réalisme, le pictorialisme, etc.

Bref, l’éclairage ou, plus généralement, la lumière est essentielle pour définir la morphologie du texte visuel.

Tonalité-N/B-Couleur

La couleur est un élément morphologique qui possède une nature complexe, très difficile à définir, tel que le dit Villafañe (1987, 111). D’une part, l’on peut parler de la nature objective de la couleur, ce qui mène à distinguer trois paramètres:

  • Le ton/tonalité ou nuance de la couleur: permet de distinguer les couleurs les uns des autres, puisque chaque couleur correspond à une longueur d’onde.
  • La saturation: fait allusion à la sensation d’une plus grande ou plus petite intensité de la couleur, à son degré de pureté. La saturation d’une couleur dépendra de la pureté.
  • L ’éclat de la couleur: fait allusion à la quantité de blanc que la couleur contient, à sa luminosité, un paramètre qui n’a pas vraiment une nature chromatique mais plutôt lumineuse. Les couleurs les plus brillantes seraient, par cet ordre, le jaune, le cyan, le magenta, le vert, le rouge et le bleu (voilà l’ordre dans lequel elles apparaissent dans la barre de couleurs du signal des caméras vidéo professionnelles, selon l’adoption de certaines normes internationalement acceptées). Si l’éclat ou la luminosité sont excessifs, les couleurs seront tellement blafardes et ténues qu’elles deviendront quasiment imperceptibles. Cependant, si l’éclat est très bas, la perte de couleur est évidente, au point qu’elle se dissipera presque totalement. Ces aspects sont facilement constatables à partir de l’utilisation de correcteurs de base de temps (TBC) dans le domaine de la vidéo ou des logiciels de traitement photographique comme Adobe Photoshop, que nous avons déjà mentionné.

Il faut d’ailleurs rappeler que les sources éclairantes employées dans la production de toute photographie -l’éclairage naturel (avec des registres qui incluent aussi bien un ciel nuageux qu’un jour ensoleillé ou la lumière caractéristique de la tombée du jour), la lumière du flash, la lumière du tungstène ou la lumière des bougies- possèdent des propriétés chromatiques qui sont étroitement liées à la température de la couleur de la source de lumière. Plus la température de couleur de la source éclairante est basse et plus jaunâtre la photographie obtenue (c’est ce qui arrive avec la lumière d’une bougie, la lumière du tungstène, la lumière du quartz). Or plus cette température de la source éclairante sera élevée et plus bleuâtre la dominante chromatique de l’image (la lumière d’un jour ensoleillé manque de dominante chromatique, mais un ciel nuageux peut entraîner la parution d’une forte dominante bleuâtre).

Ces dominantes peuvent être corrigées en utilisant des filtres spéciaux, en choisissant des émulsions photographiques adaptées à chaque type de lumière (lumière du jour ou lumière de tungstène) ou à partir de procédures numériques visant à corriger la couleur (ce qui revient dans le domaine du cinéma à l’étalonnage, processus consistant à équilibrer les lumières et les couleurs afin de sauvegarder le raccord ou correspondance entre les plans. L’on corrige de la sorte les températures de couleur dans le but d’égaliser le chromatisme des différents plans). Moyennant des complexes techniques de laboratoire ou des simples logiciels informatiques, il est possible de modifier la couleur d’une photographie. En effet, on peut éliminer la couleur, la saturer, en modifier les tons, introduire des parties colorisées, des virages d’image et d’autres techniques complexes comme la postérisation (séparation de tons) ou la solarisation (processus d’inversion) des couleurs.

Mais la couleur offre un large éventail de significations grâce à ses propriétés subjectives. On parle des propriétés thermiques de la couleur, de ses propriétés synesthésiques (liées au son et à la musique. En fait, on parle de gammes chromatiques), de son dynamisme, etc.

Le professeur Justo Villafañe (1987, p.118) définit, très judicieusement, une série de fonctions plastiques de la couleur:

  • La couleur, avec la forme, est en grande partie responsable de l’identité des objets. Elle nous aide à reconnaître référentiellement les objets représentés, même si elle n’a pas un rôle aussi décisif que celui de la forme (du point de vue morphologique).
  • La couleur aide à créer l’espace plastique de la représentation. En fonction de l’utilisation que l’on fasse de la couleur, nous pouvons parler d’une représentation plane ou d’une représentation à profondeur spatiale. Elle peut contribuer à la définition de différents plans dans d’une image, même si elle ne présente pas d’éléments en perspective.
  • Le contraste chromatique est un recours qui sert à accorder du dynamisme à la composition. La composition atteint de la sorte une grande force expressive. De temps en temps, l’utilisation du contraste de couleur peut être un recours aidant à ce que la mise en scène d’une photographie soit spectaculaire. Cela est possible parce qu’il s’agit d’une technique capable de stimuler les sens et d’attirer l’attention du spectateur.
  • La couleur possède en outre des qualités thermiques remarquables. Tel qu’il a été évoqué par Kandinsky, les couleurs chaudes (entre le vert et le jaune) produisent une sensation de déplacement vers le spectateur, ce qui favorise la parution des processus d’identification, c’est-à-dire, elles définissent un mouvement centripète de l’activité d’observation. Les couleurs froides (entre le vert et le bleu) produisent une sensation d’éloignement du spectateur, ce qui favorise la parution des processus d’éloignement vis-à-vis de la représentation, tout en décrivant un mouvement centrifuge dans l’activité d’observation.
  • Nous pouvons ajouter enfin que la couleur peut de même insérer une représentation dans le temps. Les virages sépia sont liés à l’ancienneté de la photographie, puisqu’il s’agit de la dominante chromatique de nombreux calotypes (Talbot) et daguerréotypes (Daguerre), étant donné les particularités des processus chimiques employés. Les qualités des émulsions photographiques ont changé tout au long de l’histoire. C’est pourquoi il est possible de lier certains types de chromatismes à des périodes différentes de l’histoire de la photographie ou à certains styles photographiques.

L’emploi du noir et blanc serait défini objectivement comme une absence de couleur (on sait que le noir et le blanc ne sont pas de couleurs). Ceci est devenu encore plus évident avec la photographie numérique, car il suffit de supprimer la couleur d’une image pour obtenir une photographie en noir et blanc sans avoir à utiliser une émulsion photochimique spécifique.

Force est de constater que l’utilisation du noir et blanc est une option discursive chargée de significations. Il ne faut absolument pas interpréter l’usage du noir et blanc comme une absence de couleur. Il est vrai que le degré de figuration d’une image diminue en fonction de l’emploi du noir et blanc ; autrement dit, il s’agit d’une photographie plus facile à reconnaître par le spectateur en tant que représentation: l’emploi du noir et blanc accorde à la photographie une grande expressivité qui explique pourquoi de nombreux photographes de presse utilisent encore de nos jours ce genre de pellicule ou de technique photographique (c’est le cas de Salgado). D’ailleurs, l’emploi du noir et blanc offre un jeu de possibilités plus large que l’on ne croirait de prime abord. En effet, en fonction de l’émulsion choisie ou du type de révélateur utilisé, la photographie peut avoir une dominante bleuâtre, froide, ou jaunâtre, chaude, ce qui a des conséquences lors de sa réception, car il s’agit d’une qualité qui contribue à l’éloignement ou identification respectivement vis-à-vis de l’événement ou du sujet représenté.

Ainsi, outre le fait de reconnaître que la couleur est un paramètre morphologique clé dans la construction de l’espace de la représentation, il faut aussi dire qu’elle possède une dimension temporelle plus ou moins visible. Voilà encore un autre argument qui aide à «estomper» les frontières artificielles qui sépareraient le niveau morphologique du le niveau compositionnel de l’image.

Nous tenons donc à insister sur le fait nécessaire d’entendre cette proposition analytique tout en adoptant un point de vue opérationnel.

Contraste

Cet aspect ne peut vraiment pas être dissocié de la section précédente concernant l’étude de la lumière et l’éclairage. Il ne peut pas non plus être dissocié de la section ci-dessous, qui aborde les concepts de la tonalité et de la couleur, avec lesquels il est étroitement lié. Si nous avons fait une telle division, c’est qu’il s’agit d’un élément qui souvent mérite d’être traité explicitement dans l’analyse du niveau morphologique.

Le contraste du sujet ou motif photographique correspond à la différence de niveaux d’éclairage (luminance) entre les ombres et les hautes lumières. Il s’agit d’un concept qui peut être appliqué indifféremment à la photographie en noir et blanc ou à la photographie en couleur, qu’elle soit analogique ou numérique. La gamme des gris qui apparaît dans une image peut être plus ou moins riche. Une large gamme de tons gris constitue une option discursive qui nous rapproche du réalisme de la représentation et qui est lié à l’emploi d’émulsions photographiques à sensibilité moyenne ou basse. Au contraire, un fort contrastede l’image peut exprimer l’idée de conflit, un état intérieur du sujet photographié ou une série de qualités à l’égard de l’espace ou du temps photographiques.

Par ailleurs, tout en suivant la terminologie créée par Ansel Adams vis-à-vis de son système de zones, la gamme des gris reproduite peut se trouver au niveau de la partie basse de l’échelle, avec une prédominance d’ombres (zones 0 à VI), ce qui correspondrait à un bas éclairage , ou au niveau de la partie haute de l’échelle (zones IV à IX), ce qui correspondrait à un haut éclairage, avec ses significations particulières, selon les cas.

Le contraste, tel que nous le verrons ci-dessous, peut de même être appliqué à la couleur. L’on dit que les couleurs complémentaires présentent un contraste plus élevé dans les couples bleu- jaune, rouge- cyan et vert- magenta. Le contraste en couleurs peut de même offrir un large éventail de significations. En outre, il peut aider à la détermination du style photographique de l’image que nous analysons. C’est le cas d’un nombre considérable de photographies de Pete Turner et leur affinité esthétique avec le pop- art en tant que mouvement artistique.

Autres

Nous pourrions inclure dans cette section des remarques sur la possibilité qu’une photographie présente des inscriptions de textes, mots, phrases ou éléments verbaux, pouvant être utilisés dans deux dimensions différentes : en tant que composante de l’objet, résultat de la présence de marques, calendriers, lettres, enseignes lumineuses, etc., ou bien en tant que composante du concept, du fait de l’expression directe d’un mot ou d’une phrase présentée en haut ou en bas de l’image. En outre, la légende, en tant que titre, peut avoir été expressément inscrite par l’auteur empirique quelque part dans le texte photographique (Duane Michals en est un exemple fort opportun).

Cet espace est réservé à l’inclusion d’autres concepts qui pourraient éventuellement avoir un rapport avec le niveau morphologique de l’analyse de la photographie. Il demeure ouvert ad libitum de l’analyste ou du spécialiste de l’image.


2.3 Réflexion générale

À la fin de l’analyse des différents concepts qui intègrent l’étude du niveau morphologique de l’image, il convient de faire une synthèse des aspects les plus importants.

L’ensemble d’aspects abordés nous permettra de préciser si l’image que nous analysons est figurative/abstraite, simple/complexe, monosémique/ polysémique, originale/redondante, etc.

Malgré le fait d’avoir examiné le niveau morphologique de l’image, fondé notamment sur l’examen des éléments expressifs plus ou moins objectivables, nous ne devons pas oublier que leur étude ne peut pas échapper à une certaine charge subjective. C’est pour cela que nous tenons à rappeler, tel que l’affirment Arnheim ou Gombrich, que « voir est comprendre », ce qui corrobore la nature subjective de l’activité analytique.